Elle en fait vingt ans de moins.
On pourrait croire que c’est un avantage. Pas pour moi. A trente ans, je fais dix ans de plus. Du coup, on nous prend pour des sœurs. Ce qui a le don de m’énerver. Heureusement pour moi, ma mère s’habille plutôt « classique ». Mon honneur est sauf et je bénis le Saint Cyrillus de me permettre de faire – pour combien de temps encore - un peu plus jeune qu’elle.
Ma mère a quand même pas mal de chance. Elle n’était pas dans ma situation à son âge : ma grand-mère n’avait rien de la business maman mais plutôt tout de la mamie gâteau.
Il faut dire qu’à 32 ans, ma mère avait déjà 2 enfants et jonglait allégrement avec son boulot et ses marmots. A 30 ans, je n’ai pas encore (mais alors pas du tout pour le moment) envie de céder aux sirènes de la maternité. Ma mère a pu être dupé en son temps – et même, elle avait été prévenue de ces ravages. « Dans quelle galère tu t’engages », telle a été la phrase clé soutenue par ma grand mère quand elle a appris que ma mère était enceinte. Je ne sais pas vous mais moi, ça me bloque pas mal. Et je dirai même que ça bloque mes futures générations de petits têtards. Parce qu’en terme de galère, j’ai déjà mon lot. Et en ajouter un de plus sur un environnement qu’on nous répète être en crise et en recul, ça ne me fait pas, mais vraiment pas rêver.
D’ailleurs, en parlant de rêve, je n’ai jamais cru au prince charmant par exemple. La génération dont était issue ma génitrice, les années 70 et tout ça, ont eu pour effet de libérer la parole de ma mère et de lui permettre de me dépeindre tout au long de mon enfance et de mon adolescence – un portait au vitriol de la gente masculine. Je me laissais donc aller, dans mes premiers émois, à me dire que de toute manière l’homme parfait n’existe pas, qu’il est un mythe hérité des contes et que de toute manière Cendrillon était une grosse menteuse – bien mieux dépeinte dans la chanson de Téléphone que dans les livres d’images.
Ma mère a toujours eu des égards envers moi concernant le développement harmonieux de ma vie amoureuse. Une sorte de schizophrénie de survie si vous préférez. Elle me répétait à quel point il était merveilleux de partager sa vie avec quelqu’un qu’on admire, qu’on choisit et qu’on aime. Notez l’ordre judicieux de ce passage.
Pour elle, un homme devait forcément être quelqu’un d’intellectuellement et de spirituellement proche de son idéal de réussite sociale. Qu’elle ait pris un énarque comme partenaire de vie n’efface pas le fait que sa source principale de nourritures culturelles soit le ELLE hebdomadaire, une institution dans la famille. Ma mère se plaint que je ne me « culture » pas assez à son goût, mais n’empêche que la génération télé à laquelle j’appartiens, a une culture certes différentes de la sienne, mais une culture quand même.
De culture a cul, il n’y a qu’une syllabe d’écart – que je zappe allégrement.
Car ma mère m’a rapidement mis au parfum de ce monde étranger et adulte que celui du sexe. A 10 ans, je savais déjà ce qu’était un préservatif, que la masturbation était intéressante nonobstant le fait qu’elle était réductrice et que l’usage d’un partenaire était de meilleur aloi. Aucun problème de ma part à découvrir pour mes 18 ans le cadeau de ma meilleure amie devant mes parents : un superbe gode qui se reliait par un ingénieux système à mon lecteur mp3 – tout pour décoller en musique. Sincèrement, je n’aurai pas imaginé plus pur exemple de l’absence de malaise entre ma mère et moi sur ce sujet. Qu’elle me demande de lui prêter l’objet ne m’aurait pas choqué le moins du monde.
Ma mère est issue de la génération Simone Weil. Elle a pris la pilule en son temps, m’a prise par la main pour mon premier rendez vous chez le Gynéco et a soigné mes premières cystites avec amour et empathie. Elle ne comprend néanmoins pas pourquoi je prends ma pilule en continu pour éviter d’être de mauvaise humeur, d’avoir mal au ventre et surtout d’être indisponible sexuellement. Je dirai que ma mère a hérité de cette culture féministe sans en être une réellement : elle travaillait en même temps qu’elle nous élevait mais elle suivait mon père dans les déménagements successifs qu’il lui imposait – rendant impossible son évolution professionnelle à elle. Elle se plaignait de devoir rendre des comptes (au centime de francs puis d’euros près) à son mari, mais elle nous a toujours poussé à l’indépendance financière et à la réussite professionnelle. Peut être a t elle choisi de nous inculquer au maximum ses valeurs en restant le plus souvent auprès de nous ?
Ma sœur et moi avons eu une enfance empreinte de bonheurs mais néanmoins assez sévère. La répression paternelle balançait avec l’amour maternel. Le bâton, les bisous et…la carotte : à savoir que nous devions réussir convenablement en classe (je dirai même exceller) pour rendre nos parents heureux.
Cela a eu pour conséquence de me faire passer par la « voie royale » du parfait petit étudiant : allemand option anglais au collège, bac S, prépa et école de commerce. Je n’ai jamais eu le choix et je ne voulais pas prendre de décision à la place de mes parents, vu que j’avais toujours choisi de leur faire plaisir et de répondre à leurs rêves de réussite. Surtout sa réussite à elle – ma mère.
Dans la rue, ma mère adore me prendre par le bras. Ce qui a le don de me mettre un peu hors de moi car je ne les aime pas ces contacts. J’ai l’impression qu’il s’agit d’une pulsion de sa part visant à reprendre l’exclusivité sur ma petite personne, un moyen adulte de me prendre la main en somme.
Je suis d’ailleurs assez gênée par les gestes affectueux qu’elle se permet car après avoir vécu mon adolescence en mode méga-répulsif vis à vis de mes parents, ces rapprochements me font bizarre. Ou ai-je décidé que seul mon amoureux pouvait avoir des gestes tendres envers moi à présent ?
Le shopping est une activité que nous apprécions toutes les deux et que nous ne manquons pas de pratiquer ensemble. Mes goûts étant ce qu’ils sont (chic mais loin de l’esprit Marie-Chantal), j’ai parfois un peu de mal à faire comprendre à ma chère génitrice que oui, un 12 ème sac est indispensable (et c’est surtout bien mieux si c’est un Dreyfus) tout comme cette nouvelle couverture pour MacBook. Non, mon chien n’a pas besoin d’un plaid, merci. Confusion faite par ma mère entre Mabrouk de 30 millions d’amis et la marque à la pomme.
Je ne comprends toujours pas le réflexe avéré qu’elle a pour dénicher toujours des fringues qui ne me vont pas, rapport à mes quelques kilos en trop, pris après mon dernier chagrin d’amour. « Regarde cette adora-a-a-a-ble petite robe en soie poudré, elle t’irait à merveille au teint » me susurre-t-elle à l’oreille. Peine perdue, je sais par avance que je vais déjà me faire des pinçons qui font mal au moral rien qu’à la regarder. Et quand la séance d’essayage arrive, ce n’est que pour constater que oui, j’ai bien 10 kilos d’horrible masse adipeuse sur mes points de séduction stratégiques – et que de toute manière avec cette couleur c’est juste bon pour partir à une Dallas Party. Pas vraiment le top pour la vraie vie quoi. Ces choses étant dites, voilà que ma maternelle papillonne autour de moi, ajoutant une broche par ci, un escarpin par là – une vraie mère maquerelle de la fringue – et je termine lamentablement attifée comme un macaron ladurée : le chapeau, la robe à godets évasée en bas (partie macaron)– et le châle framboise en guise de confiture au milieu.
Ma mère n’a toujours pas compris que mon chien n’etait pas « ma fille » et qu’elle n’avait pas à lui refiler ses morceaux de steak – rapport qu’elle a fini par ne plus croire en Dukan.